Le monde tel qu’il va : de plus en plus riche et de plus en plus inégal

Publié le par Michael Robert sur le site Avanti

Le monde tel qu’il va : de plus en plus riche et de plus en plus inégal

Insistons bien sur le fait que nous ne parlons pas ici d’un revenu annuel mais bien de la "richesse" accumulée par un ménage (c’est-à-dire les actifs immobiliers et financiers, comme les avoirs, actions et liquidités en banque).

Mais ces 100.000 dollars (soit 73.000 euros) ne représentent pas nécessairement une somme extraordinaire si vous possédez une maison non hypothéquée dans n’importe quel pays du G7. Donc des dizaines de millions de gens, particulièrement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, se retrouvent ainsi dans le "Top 10%" des détenteurs de la richesse mondiale [sans être pour autant des "riches" dans leur pays - NdT]. Ces chiffres montrent surtout à quel point la grande majorité des adultes dans le monde disposent de peu : les deux-tiers sont en-dessous de la barre des 10.000 dollars (7.300 euros) de richesse par ménage. En d’autres termes, 3,2 milliards d’adultes ne possèdent pratiquement rien du tout.

À l’autre extrémité du spectre, 32 millions de gens possèdent à eux seuls une richesse globale de 98 trillions [1] de dollars (soit 41% de toute la richesse des ménages), disposant chacun de plus de 1 million de dollars (730.000 euros). Et 98.700 personnes "à valeur nette très élevée" disposent chacune de plus de 50 millions de dollars (36,5 millions d’euros) et, parmi celles-ci, 33.900 possèdent chacune plus de 100 millions de dollars (73 millions d’euros). La moitié de ces super-riches vivent aux États-Unis.

Tout ceci se trouve dans un nouveau rapport sur la richesse mondiale qui a été rédigé par les professeurs Anthony Shorrocks et Jim Davies et publié par la banque du Crédit Suisse. Ces professeurs constatent que la richesse mondiale a atteint un nouveau niveau record de 241 trillions de dollars, une somme en hausse de 4,9% depuis l’année dernière, les Etats-unis prenant à leur compte l’essentiel de cette augmentation. La richesse moyenne a atteint un nouveau pic de 51.600 dollars (37.700 euros) par adulte, mais la répartition de cette richesse est follement inégale.

En un sens, Il n’y a rien de nouveau dans ce rapport parce que Tony Shorrocks avait déjà publié un rapport pour l’ONU en 2010 où l’on trouve pratiquement la même inégalité dans la répartition de la richesse et Branko Milanovic avait également trouvé des chiffres similaires dans diverses études de la Banque mondiale. Mais ce qui est intéressant dans ce nouveau rapport, c’est que le professeur Shorrocks constate qu’il y n’y a peu ou pas de mobilité sociale entre riches et pauvres au fil des générations - 87% des gens restent riches ou pauvres, ne se déplaçant que très légèrement vers le haut ou vers le bas de la pyramide des richesses.

Cette inégalité se reflète dans chaque pays. Ainsi, en Grande-Bretagne, la richesse totale globale (en y incluant l’épargne-pension privée, mais pas les pensions de l’Etat) de l’ensemble des ménages privés en Grande-Bretagne était de 12,15 trillion d’euros. Les 10% les plus aisés des ménages étaient 4,4 fois plus riches que l’ensemble des 50% les moins aisés. Les 20% les plus riches possédaient 62% de la richesse totale des ménages.

Par ailleurs, toujours selon le rapport du Crédit Suisse, le « rêve américain » et la maxime britannique "passer des chiffons à la richesse" sont un mythe. Les deux-tiers des adultes américains sont dans le même décile de richesse que leurs parents avant eux. [2] Il en va de même au niveau mondial : "Alors que certaines personnes passent brutalement de la misère à la richesse ou l’inverse, beaucoup restent toute leur vie grosso modo au même niveau de richesse au sein de leur tranche d’âge. Si vous divisez la population en quintiles de richesse, environ la moitié de la population restera dans le même quintile après dix ans et nous estimons qu’au moins un tiers sera toujours dans le même quintile après trente ans".

La richesse mondiale devrait augmenter de près de 40% au cours des cinq prochaines années, pour atteindre 334 trillions de dollars d’ici 2018. Les marchés émergents seront responsables de 29% de cette croissance, bien qu’ils ne représentent que 21% de la richesse actuelle, et la Chine seule comptera pour près de 50% de l’augmentation de la richesse des pays émergents. L’accroissement de la richesse sera principalement tiré par la croissance dans le segment intermédiaire, mais le nombre de millionnaires augmentera aussi considérablement au cours des cinq prochaines années.

Toutes les sociétés de classes ont généré des situations extrêmes d’inégalité en termes de richesse et de revenus. Ce fut le cas avec les riches élites du passé (les seigneurs féodaux, les seigneurs de guerre asiatiques, les castes religieuses égyptiennes et incas, les propriétaires romains d’esclaves, etc) qui, toutes, usurpaient le contrôle du surplus produit par le travail. Mais les sociétés de classe du passé considéraient que cela était normal et résultait de la "volonté divine". Le capitalisme, pour sa part, parle de marché libre, d’échange égal et d’égalité des chances. Mais la réalité n’est pas différente des précédentes sociétés de classe.

Des extrêmement riches au plus d’un milliard d’extrêmement pauvres

Après le rapport du Crédit Suisse sur l’extrême inégalité de la répartition de la richesse mondiale, un autre rapport, provenant de la Banque mondiale, vient couvrir l’autre extrémité du spectre - le niveau d’extrême pauvreté dans le monde.

Il y a environ 1,2 milliard de personnes complètement démunies (vivant avec moins de 1,25 dollar - soit 0,91 EUR - par jour). Parmi ces personnes extrêmement pauvres, une sur trois est un enfant de moins de 13 ans. Cette catégorie est celle de " l’extrême pauvreté ", à comparer avec le " seuil de pauvreté " qui est fixé aux Etats-Unis à environ 60 dollars (44 EUR) par jour pour une famille de quatre personnes. Les gens dans l’« extrême pauvreté » n’ont en général pas suffisamment de nourriture pour répondre aux besoins physiques et mentaux élémentaires. Donc, plus d’un milliard de personnes, dont un tiers sont des enfants, souffrent quotidiennement de la faim au 21e siècle..

La Banque mondiale affirme que le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a fortement diminué au cours des trois dernières décennies. Il y a 721 millions de gens en moins de gens qui vivent dans l’extrême pauvreté en 2010 par rapport à 1981 (en supposant que ce que 1,25 dollar par jour permettait d’acheter en 1981 correspond à ce qu’on peut obtenir pour cette somme aujourd’hui). Cela sonne mieux, mais cette réduction est presque exclusivement due à une hausse du niveau de vie des populations (qui dépassent chacune le milliard) de l’Inde et surtout de la Chine au cours de ces 30 dernières années. Il y a eu très peu de réduction des niveaux d’extrême pauvreté (tel qu’il est défini) dans d’autres économies émergentes très pauvres.

Alors que les taux d’extrême pauvreté ont diminué dans toutes les régions, les 35 pays ayant les revenus les plus faibles du monde (désignés officiellement comme les Pays à Faible Revenu ou PFR) - dont 26 sont en Afrique - comptent 103 millions de gens extrêmement pauvres de plus aujourd’hui qu’il y a trois décennies. Chine et Inde mises à part, "les personnes vivant dans l’extrême pauvreté [dans le monde en développement] aujourd’hui semblent être aussi pauvres que celles qui vivaient dans l’extrême pauvreté il y a 30 ans" conclut la Banque mondiale.

En 2010, 33% des personnes extrêmement pauvres vivent dans les Pays à Faible Revenu", alors qu’elles n’étaient que 13% en 1981. En Inde, le revenu moyen des pauvres est passé de 0,61 EUR en 1981 à 0,71 EUR par jour en 2010 tandis que le revenu moyen des pauvres en Chine est lui passé de 0,49 EUR il y a trente ans à 0,69 EUR aujourd’hui. La Chine, dont l’économie reste largement planifiée et contrôlée par l’Etat, a vu ses populations les plus pauvres faire le plus de progrès. Mais pour le pauvre « moyen » vivant dans un pays à faible revenu, dont le revenu quotidien est passé de 0,54 EUR en 1981 à 0,57 EUR en 2010, il n’y a pratiquement aucun changement.

Parmi ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté, les trois quarts (78%) habitent dans des zones rurales, et près des deux tiers tirent leurs moyens de subsistance de l’agriculture. Les plus pauvres restent également à la traîne loin derrière les autres en ce qui concerne l’accès aux services de base. Seuls 26% des pauvres ont accès à l’eau potable en 2010, contre 56% de ceux qui vivent au-dessus du seuil de pauvreté de 0,91 EUR (ce qui ne constitue qu’à grand peine un revenu). Pendant ce temps, moins de la moitié (49%) des personnes extrêmement pauvres ont accès à l’électricité contre 87% des « non-pauvres ». Et tandis que 61% des personnes au-dessus du seuil de pauvreté de 0,91 EUR ont accès à des installations sanitaires de base, seuls 20% des personnes extrêmement pauvres ont accès à des services similaires.

Pour l’ensemble des pays en développement, le rapport entre l’écart de pauvreté global (c’est-à-dire la somme globale qui serait nécessaire pour amener tous les pauvres au niveau du seuil de pauvreté) et l’ensemble du Produit Intérieur Brut de ces pays ne représente plus aujourd’hui que moins d’un dixième de ce qu’il était il y a 30 ans. Dans le cas des Pays en Faible Revenu, l’écart de pauvreté ne représente plus en 2010 que 8% environ de leur PIB, contre 24% en 1981. Malgré cette baisse importante, ce rapport entre l’écart de pauvreté et le PIB reste 16 fois plus grand dans les Pays à Faible Revenu que pour la moyenne des pays en développement. "Pour atteindre l’objectif de mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030, le rythme de réduction de la pauvreté dans les Pays à Faible Revenu devra augmenter substantiellement".

Ce qui est aussi intéressant, c’est que, sauf pour les Pays à Faible Revenu, le manque de ressources n’est pas susceptible d’être le principal obstacle pour mettre fin à l’extrême pauvreté dans la plupart des pays. Comme le reconnaît la Banque mondiale : "Le défi pour les groupes à revenu moyen et élevé n’est pas tant la quantité de ressources requises par les pauvres, mais le développement et la mise en œuvre de politiques et de programmes qui aident à rediriger les ressources vers les pauvres. Pour les PFR, cependant, les ressources sont toujours susceptibles de constituer une contrainte majeure pour mettre fin à l’extrême pauvreté."

Cela signifie que la pauvreté (telle que définie) pourrait être éliminée si les gouvernements choisissaient de le faire. La Banque mondiale l’explique de cette manière : "Supposons que la croissance réelle du PIB pour l’ensemble du monde en développement soit de 5% par an. Si 10% de cette croissance du PIB allait aux 21% de la population qui sont extrêmement pauvres dans ces pays, et si ces 10% étaient distribués de manière à ce que la croissance des revenus de chaque personne pauvre lui permette d’atteindre la ligne des 1,25 $, l’extrême pauvreté serait éliminée en un an. "

Peu de chances que cela arrive !

Ces deux articles ont été publiés sur le blog personnel de Michael Roberts et repris les 11 et 14 octobre sur le site néo-zélandais Red Line rdln.wordpress.com
Traduction française pour avanti4.be : Jean P
eltier

Notes :

[1] Il suffit d’ajouter 18 zéros après ce chiffre pour "visualiser" cette somme - NdT

[2] Un décile est une tranche de 10% de la population et un quintile une tranche de 20% - NdT

http://www.avanti4.be/analyses/article/le-monde-tel-qu-il-va-de-plus-en-plus-riche-et

Publié dans Pauvreté, Capitalisme

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